Mari Carmen Hernández, ou META de son nom d’artiste, a travaillé plusieurs années dans un atelier de la rue Mouffetard, à deux pas de la place de la Contrescarpe. Le studio aussi petit, ouvrait sur une cour privée toute en longueur, ceinturée de hauts murs tapissés d’un ocre profond, contre lesquels venaient s’appuyer de lourdes jarres en terre cuite.
L’endroit avait quelque chose de monastique, malgré ces grands aplats colorés evoquant le Mexique, où elle est née. Il ne s’agissait pas alors d’une ouverture vers le ciel mais de repli sur soi. Elle y peignait des paysages imaginaires, de vastes horizons étirés entre le ciel et l’eau, d’immenses fleurs flamboyantes, d’énigmatiques visages. La vie, elle la retrouvait dehors, à l’heure de la sortie des écoles ou lorsqu’elle allait prendre un café accompagné d’une cigarette à la terrasse de la Chope.
Changement de décor radical. Le rideau se lève aujourd’hui sur un appartement atelier de la butte Montmartre où le ciel de Paris entre par toutes les fenêtres. Clou du spectacle, l’immense terrasse qui coiffe le sommet de l’immeuble. De là-haut, il lui semble qu’elle pourrait prendre Paris dans ses bras.
« C’est un coup de foudre, dit-elle. Déjà à quinze ans, je savais que je m’installerai à Paris. Chaque jour, sans me lasser, je m’emplis les yeux, le cœur de toute cette beauté. » MariCarmen se trouve dans son nouveau village à la fois sous la protection du Sacré Cœur et sous celle de la petite église Saint-Pierre, dressée dans son ombre.
Peintre et sculpteur, elle peut aussi solliciter celle des illustres anciens qui ont au fil du temps élu domicile sur la butte – Raoul Dufy, Suzanne Valadon et son fils Utrillo, Modigliani, Picasso – et dont les fantômes hantent toujours ses rues irregulières et pentues en compagnie d’Apollinaire, Berlioz, Louise Michel ou Gertrude Stein. De son radeau suspendu sous la voûte bleue, on plonge sur l’une des seules « folies » de Montmartre que se fait construire, au XVIIIè siècle, le marchand de chandelles Antoine Gabriel Sandrin dans un hectare de parc. Transformée en clinique psychiatrique, Nerval y a été plusieurs mois. On devine tous ces lieux qui sont la mémoire du quartier. Le Moulin de la Galette, seul vestige de la trentaine de moulins toujours debouts au milieu du XIXè siècle, le cimetière campagnard oú dort Berlioz, la vigne, les ateliers du Bateau-Lavoir, le cabaret du Lapin-Agile…
La rumeur des promeneurs, toujours nombreux, monte de la rue. La place du Tertre est envahie par les pliants et les échoppes des peintres de Montmartre. Les touristes se font croquer par les caricaturistes. Aux pieds de MariCarmen, Paris déploie sa fabuleuse tapisserie cubiste hérissée de coupoles dorées, de dentelles de fer, de flèches ouvragées. D’ici, le Centre Georges Pompidou ressemble à un immense conteneur bourré d’objets d’art voguant sur une mer immobile. On joue à tout voir, à tout reconnaître. On s’aperçoit aussi que Paris- malgré des faux pas comme la tour Montparnasse- est d’une immuable et bouleversante beauté.
Dominante de gris. Est-ce pour cela que MariCarmen a choisi comme nouveau support des ardoises sur lesquelles elle trace, lorsqu’elle se lève au cœur de la nuit, la silhouette des toits et les éclats de lumière qui ponctuent la capitale ?
Elle a voulu que cet appartement-atelier, meublé par ses créations en métal brossé, soit un espace serein. Surfaces lisses et tonalités sables diffusent le calme qui lui est nécessaire. Elles s’équilibrent avec l’extérieur et n’entravent pas sa réflexion lorqu’elle se trouve, seule, face aux visages hiératiques qu’elle sculpte inlassablement – projection en trois dimensions de ses portraits—qui habitent vitrines, consoles et étagères ou se balancent sur les trapèzes rustiques. Un travail axé sur la Méduse, la plus belle et la moins bien comprise des créatures fantastiques, détruite par la jalousie d’Aphrodite et la vindicte puritaine d’Athéna à cause de la passion que lui portait Poséidon. Décapitée par Persée ; elle devint un talisman pour les marins. MariCarmen, en incrustant des ex-voto dans le ciment et argile de ses sculptures, invente à Montmartre de nouveaux talismans pour marins contemporains que nous sommes.
PARIS, UN ART DE VIVRE • Editions du Chêne • 2010